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C’est en l’an 1506 qu’on commence dans la Cathédrale à ajouter beauté sur beauté, donnant forme et expression, avec une maîtrise raffinée, à tous ces épisodes qui vraiment retracent les étapes de l’Histoire du Salut. Avec ces sentiments les Massari – l’organisme laïque qui constituait la Fabrique de la Cathédrale, qui décidait et supervisait les travaux nécessaires – commencent à promouvoir l’idée d’une décoration de la nef centrale inspirée du Nouveau Testament. Immédiatement ils tournent l’attention vers la cuvette de l’abside et à la zone au-dessus de l’arc triomphal. Justement celles-ci sont les deux premières fresques qui ont vu le jour : le Pantocrator, qui domine la cuvette absidiale et toute la nef, et l’Annonciation. De cette manière-là, ils donnent une parfaite complétude théologique à la zone absidiale, représentant, justement dans les images de l’Incarnation et du Christ Juge, le début et la fin de l’Histoire du Salut.

Ces fresques inaugurent ce qui deviendra dans les quinze ans suivants, la Biblia Pauperum, la «Bible des Pauvres», qui encore aujourd’hui raconte, avec le langage d’un art qui touche le cœur, les récits de la vie de la Vierge et de Jésus Christ, dans une suite de scènes qui abordent les épisodes fondamentaux de notre Credo.

Jour après jour, durant des siècles, ces murs ont raconté notre foi, édifiant des générations de fidèles qui en cette Église voient vraiment s’ouvrir une fenêtre sur le ciel.

Dans la cuvette de l’abside apparaît immédiatement le Christ Juge représenté dans toute sa Majesté et Divinité, quand, Seigneur du Temps et de l’Histoire, il revient sur la nuée du ciel « pour juger les vivants et les morts ». Sur le mur opposé, sur la contre-façade – un des derniers épisodes exécutés – nous Le trouvons sur un autre trône, celui duquel Il sauve l’humanité entière en se sacrifiant lui-même: la Croix. On la rejoint, après que le regard est passé, sur les murs de la nef centrale, sur tous ces événements qui ont comme protagonistes d’abord les parents de Marie, puis la Vierge elle-même, ensuite la Vie et la Passion de notre Seigneur, de manière à constituer une parfaite synthèse de l’Histoire du Salut.

Enfin, sous le grand cycle, introduites par l’auteur des ultimes scènes de la Passion et de la contre-façade et complétées par d’autres peintres plus d’un demi-siècle plus tard, nous admirons les images de ceux qui, des abîmes des siècles, ont préfiguré la venue du Christ : les Prophètes, qui, représentés dans les médaillons entre un grand arc et l’autre avec leurs rouleaux d’écriture forjetés, semblent maintenant soutenir les scènes qui racontent le Nouveau Testament.

Pantocrator (Boccaccio Boccaccino 1506-1507) • Détail. Cuvette absidiale
Le Christ Crucifié (G. A. De Sacchis dit il Pordenone 1520-1521) • Détail. Crucifixion sur la contre-façade

Nombreux sont les auteurs qui contribueront à la réalisation de cette imposante décoration picturale, toujours choisis par les Massari avec le critère du meilleur que le marché artistique de l’époque pouvait offrir, et pas seulement à Crémone.

Le premier à s’occuper du cycle est Boccaccio Boccaccino qui en 1506-1507, de retour de Venise, s’est dédié à la cuvette absidiale interprétant la demande des Massari de peindre « notre Dieu et suprême Seigneur » dans la figure solennelle du Pantocrator, du Christ juste Juge, le représentant en une image qui en saisit le trait surnaturel plus que son humanité et l’idéalisant dans la grandeur de sa Divinité au retour glorieux à la fin des temps. Une solennité qui est soulignée en cette image par le fond doré que Boccaccino a encore dans les yeux, des basiliques de la Serenissima, et par la présence des saints patrons de la cité (à partir de la gauche, Marcellin, Himérios, Hommebon, Pierre l’Exorciste), ensemble avec les symboles des quatre Evangélistes.

Pantocrator parmi les Saints Marcellin,
Himérios, Hommebon, Pierre l’exorciste
(Boccaccio Boccaccino, 1506-1507)
Cuvette absidiale
Annonciation (Boccaccio Boccaccino, 1507)    Panneau au-dessus de l’arc absidial

 

Immédiatement après, Boccaccino réalise l’Annonciation au-dessus de l’arc triomphal, dans une position si haute, au sommet de la nef, de manière à souligner encore plus à quel point ce moment est proprement le début de l’Historia Salutis, de l’histoire de notre salut, qui s’accomplira au retour glorieux de notre Seigneur comme nous le contemplons dans la cuvette de l’abside. Une œuvre d’une exceptionnelle élégance pour représenter le moment si doux de l’Incarnation où le Père, que nous apercevons au centre de la scène, répand l’Esprit [sous forme de colombe dans l’image] – quasi pour récupérer iconographiquement l’idée originale des Massari du Dieu Très-Haut – et où le Fils (le Logos) assume notre nature humaine.

C’est encore Boccaccio Boccaccino, de retour de Rome, à s’occuper, en 1514-1515, du projet de la décoration de la nef centrale – où il décore chaque arc en le divisant en deux panneaux séparés par des faux pilastres – et à décorer de fresques les premières travées du mur septentrional (à gauche, en entrant) en représentant les épisodes, tirés des Évangiles apocryphes, de la vie de la Vierge, avec référence aux parents de Marie (l’Annonce à Joachim et la Rencontre entre Joachim et Anne à la Porte dorée) pour après passer à la Nativité de Marie et au Mariage entre Marie et Joseph.

Annonce à Joachim |  Rencontre entre Joachim et Anne à la Porte dorée  (Boccaccio Boccaccino, 1514)   Première travée côté nord

 

Adoration des Bergers | Circoncision  (Boccaccio Boccaccino 1517) Quatrième travée côté nord

À partir de là, l’histoire personnelle de Marie commence naturellement à se recouper avec celle de Jésus et voilà pourquoi dans les fresques suivantes on rencontre l’Annonciation, la Nativité et la Circoncision, la dernière travée de laquelle le Boccaccio s’occupe pour le moment.

Le trait équilibré de la composition assimilé par ce grand peintre du « rythme ordonné de l’Italie centrale » dans les exemples de Raphaël et du Pérugin et l’utilisation savante des couleurs affinée par la précédente expérience vénitienne, unis à la connaissance de la magistrale production graphique d’Albrecht Dürer, font de lui le premier protagoniste du soin et de l’attention que les Massari employaient dans leurs choix pour chercher toujours le meilleur pour l’accroissement et le soin de notre Cathédrale.

Dans les scènes suivantes nous rencontrons deux nouveaux auteurs de la génération suivante à celle de Boccaccino : Gianfrancesco Bembo, qui peint l’Adoration des Mages et la Présentation au Temple, et Altobello Melone, que nous retrouverons aussi sur le mur méridional, à qui nous devons la Fuite en Egypte et le Massacre des Innocents. En cette dernière œuvre, on commence à percevoir un pathos croissant dans la composition et dans les expressions des personnages, comme nous le verrons peu à peu dans les scènes suivantes de la Passion.

Le mur septentrional se conclut de nouveau par la main de Boccaccio Boccaccino avec un épisode de l’adolescence de Jésus, la Dispute avec les Docteurs du Temple : dans ce cas-ci, l’arc n’est pas subdivisé en deux panneaux mais la scène occupe tout l’espace mural. Boccaccino exécuta deux autres scènes à superficie unitaire dans le presbyterium : le Baptême du Christ et l’Entrée à Jérusalem, qui furent détruites un demi-siècle plus tard pour ouvrir deux grandes fenêtres aux côtés du retable du maître-autel.

Fuite en Egypte  |  Massacre des Innocents  (Altobello Melone 1517) Septième travée Presbytère côté nord
La Dernière Cène (Altobello Melone 1518) Huitième travée Presbytère côté sud

Maintenant s’ouvre, partant de la zone du presbyterium, le mur méridional, sur lequel nous rencontrons les scènes de la Passion du Christ. Dans ces travaux, différents artistes se sont relayés, dans un crescendo d’expressivité artistique qui atteint des tons dramatiques dans les œuvres du Calvaire.

Altobello Melone se consacre à la Dernière Cène (aussi dans ce cas une scène unique occupe le grand arc), au Lavement des pieds, à la Prière dans le Jardin des Oliviers, puis encore à l’Arrestation de Jésus et de Jésus conduit devant Caïphe. Une peinture qui se révèle toujours plus moderne dans la composition et dans la tentative de souligner le pathos croissant des thèmes peints à travers les instruments picturaux: des figures de taille, aux dissonances chromatiques riches en traits de lumière surprenants.

L’entreprise d’Altobello s’interrompt ici en faveur d’un autre grand peintre, originaire de Brescia, Girolamo Romanino : on est en 1519. Les Massari cherchent continuellement de nouveaux artistes de pointe pour le chantier de la Cathédrale et à Romanino est confié un nouveau projet à la place de celui de Boccaccino pour pouvoir terminer tous les travaux dans la nef et la contre-façade. Toutefois il réussira à réaliser seulement quatre scènes : le Tribunal de Pilate, la Flagellation, le Christ raillé et couronné d’épines et l’Ecce Homo. Son arrivée allume les murs de la Cathédrale d’une palette jusqu’alors jamais vue, d’une empreinte à la manière de Titien, dans une composition en laquelle on est touché de voir comment l’atrocité des peines infligées est toujours accompagnée par la douce acceptation du Christ. Remarquable est la fréquente représentation des scènes en des milieux d’inspiration contemporaine à travers des raccourcis, des loges – comme dans l’Ecce Homo – ou encore, en insérant des personnages en vêtements du seizième siècle, vraisemblablement des portraits des notables de Crémone de l’époque.

Jésus couronné d’épines | Ecce Homo (Gerolamo Romamino 1519)
Quatrième travée côté sud
Jésus cloué à la Croix (G. A. De Sacchis detto il Pordenone 1520-21) Première travée côté sud

C’est à ce moment-là – nous sommes en 1520 – que fait son entrée dans la Cathédrale – aux frais du Romanino, exclu avec une embrouille bureaucratique – une figure d’avant-garde dans le panorama de la Vallée du Pô que les Massari appellent de l’arrière-pays vénitien: Giovanni Antonio de Sacchis, dit le Pordenone, dans les documents pictor modernus. C’est avec lui que la dramatique des ultimes scènes de la Passion touche son sommet. Dans le Jugement de Pilate, dans la Chute sous la Croix, dans Jésus cloué à la Croix et, enfin, dans la gigantesque Crucifixion, les visages martyrisés et quasi déformés rendent visible, entre lumières et ombres, la douleur de ces moments terribles. Dans son œuvre, dans une composition vraiment théâtrale, le chromatisme vénitien rencontre le trait michelangelesque des figures qui, dans leur dynamique et leur force expressive, marquent vraiment un tournant du point de vue artistique, à tel point qu’on ne pourrait pas rendre mieux visible à nos yeux les instants de la Passion.

Très évangélique la composition de la Crucifixion qui, dans les signes du ciel obscur et nuageux (« Il y eut des ténèbres sur toute la terre »), dans la grande crevasse sur le sol (« un tremblement de terre secoua la terre »), dans les figures du mercenaire qui brise les jambes au larron, ou encore de Longin qui, regardant vers le Seigneur en Croix, semble réellement dire : « Celui-ci était vraiment Fils de Dieu », présente, fidèlement à l’Évangile, tous les détails.

En même temps, la scène est placée par le Pordenone à l’époque contemporaine, ce que nous voyons, par exemple, dans les figures en armure, comme le gigantesque lansquenet au premier plan qui montre le Christ en Croix avec une main tandis qu’avec l’autre il tient son énorme épée typique de la période en laquelle nous nous trouvons : nous sommes au premier quart du seizième siècle, époque des guerres d’Italie, quand aussi la terre lombarde était théâtre de combats atroces entre les armées. Une contemporanéité ensuite exhibée dans les costumes à l’orientale avec lesquels il habille ceux qui symbolisent les personnages cruels qui ont mené le Seigneur à la crucifixion, les Juifs.

Le tout exprimé avec une force dramatique qui sort, encore une fois, des visages déformés, martyrisés et de la dynamique des figures : emblématique la manière de se débattre des deux larrons crucifiés.

Crucifixion (il Pordenone, 1520-1521)
Détail. Contre-façade
Déposition de Croixe (G. A. De Sacchis detto il Pordenone, 1522) Détail. Contre-façade

Le cycle se termine à la contre-façade avec la Déposition – toujours du Pordenone dans un hommage à Mantegna et à Bramantino avec le Christ en perspective – et la Résurrection, œuvre de Bernardino Gatti, de quelques années plus tard (1529).

Voici que maintenant cette imposante installation décorative, qui des scènes de la vie de Marie nous a conduits, à travers la Passion, à la Croix et à la Résurrection, nous présente le vrai message : le Christ, mort pour nous réconcilier tous avec le Père, est en réalité le Seigneur de la Vie, Celui qui a définitivement vaincu la mort, parce qu’«Il est vraiment ressuscité» et nous tous nous pouvons espérer en sa miséricorde de juste Juge.

Tribunal de Pilate (G. Romanino – 1519)
Détail

Voici que se termine notre bref voyage en celle qu’avec raison on appelle la « Sixtine de la Lombardie » pour le caractère de valeur artistique exceptionnelle, unique à cette époque-là, au moins dans cette partie de l’Italie, pour avoir rassemblé le meilleur de l’art en terre du Pô et pour avoir rendu compréhensible de manière simple l’évolution vertigineuse de la peinture dans le premier quart du seizième siècle, à l’enseigne de la modernité et du vouloir être toujours au sommet de la qualité dans un horizon d’ouverture vers les grandes tendances artistiques du moment. Un bref voyage qui, tandis qu’il nous a fascinés d’un point de vue artistique, s’est révélé une véritable catéchèse qui, à travers le langage de la beauté, a parlé encore une fois, comme tous les jours dans les derniers cinq siècles, des vérités de la foi en lesquelles nous croyons fermement.